Je rencontre Bernadette et je comprends tout de suite qu’elle n’appartient pas à ce monde. Elle n’a pas appris à se défendre. Elle ne joue aucun rôle, ne revendique rien. Elle est simplement là. Elle répond, quand on l’interroge, avec des mots simples, sans chercher à convaincre, sans jamais trop en dire. Elle ne possède rien, elle n’a pas de pouvoir, pas de savoir livresque, pas d’ambition, pas d’attente même. Et pourtant, elle a une lumière, une droiture, une vérité qui traversent tout.
Et le curé Peyramal la regarde. Il ne sait pas encore pourquoi elle le bouleverse. Il est formé à la rigueur, à l’ordre, aux doctrines. Il a été au chevet des mourants, il a dirigé un hospice, il connaît la douleur des corps et l’oubli des âmes. Il a servi. Il s’est tenu droit, dans les cadres qu’on lui a transmis. Il est un homme d’obéissance, de service, de silence. Et pourtant, devant elle, quelque chose se fendille. Pas parce qu’elle dit des choses extraordinaires. Justement parce qu’elle ne dit que ce qu’elle sait. Et parce qu’elle le dit sans peur, sans artifice.
Ce n’est pas Bernadette qui agit. C’est l’attention qu’il lui porte qui agit sur lui. Une attention qu’il n’a sans doute jamais donnée ainsi, sans réserve, sans hiérarchie, à un être aussi dépouillé. Et dans cette attention, il découvre une zone de lui-même qui avait été laissée dans l’ombre, une part sensible, vibrante, vivante. Il comprend sans le formuler que ce qu’elle incarne est plus réel que tout ce qu’il a appris. Elle est la vie nue, la vérité désarmée.
Et moi, je la regarde aussi, cette figure. Pas celle de la sainte. Celle de l’enfant. Cette âme transparente, inclassable, qui ne cherche rien et qui donne tout sans le savoir. Et je me rends compte que ce que je cherche depuis toujours, dans ma solitude, dans mes effondrements, dans mon refus du monde tel qu’il va, c’est ce genre de présence. Une présence qui éclaire sans dominer, qui rassure sans enserrer, qui ne prétend rien, et qui pourtant, ouvre un espace où tout peut devenir vrai.
Je comprends maintenant que la femme que je cherche n’est pas une femme conforme à une attente ou à une image. Ce n’est pas une amante, ni une muse, ni une compagne. C’est une présence accordée à cette lumière intérieure, à ce regard juste, à cette parole qui ne ment pas. Et si je devais dire ce qu’elle est, cette femme que j’attends, je dirais qu’elle a le cœur de Bernadette. Elle n’a peut-être pas sa jeunesse, ni sa forme, ni sa voix, mais elle a cette étoffe-là, cette clarté, cette absence de stratégie, cette façon d’être là, sans bruit, sans démonstration — et pourtant bouleversante.
Je comprends que ce n’est pas tant d’amour que j’ai besoin, mais de vérité. D’un lieu d’être où je n’ai pas à me défendre, à prétendre, à m’adapter. Un lieu d’écoute, un lieu où je peux tomber sans honte, parler sans calcul, me taire sans crainte. Une terre intérieure où la lumière ne juge pas.
Et c’est cela, au fond, que Bernadette me donne à percevoir — même à distance, même à travers les siècles. Un possible. Un espoir. Une image d’intégrité vivante.
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